Le 28 juillet 2000, Patrice de Peretti, alias «Depé», est retrouvé sans vie dans l’appartement qu’il occupe alors avec un ami, après avoir été victime d’une rupture d’anévrisme. Cela fait vingt ans jour pour jour ce mardi, et Marseille n’oublie pas. L’homme est mort, oui, mais depuis, la légende du supporter numéro un de l’OM ne
Le 28 juillet 2000, Patrice de Peretti, alias «Depé», est retrouvé sans vie dans l’appartement qu’il occupe alors avec un ami, après avoir été victime d’une rupture d’anévrisme. Cela fait vingt ans jour pour jour ce mardi, et Marseille n’oublie pas. L’homme est mort, oui, mais depuis, la légende du supporter numéro un de l’OM ne cesse de s’étoffer.
Ce week-end, une banderole en son honneur a été suspendue sur un pont du cours Lieutaud, une des principales voies de circulation du centre-ville. L’anniversaire de sa disparition sera célébré lors d’une soirée avec concerts et exposition de photos. Et bien sûr, dès que le Vélodrome pourra rouvrir les portes de ses tribunes, le public continuera de «chanter comme Depé, sans jamais rien lâcher, [son] amour du maillot», ainsi que le disent les paroles écrites à sa mémoire.
L’homme était un supporter de l’Olympique de Marseille. Il n’était même que ça, raison pour laquelle il est devenu… bien plus que ça. Dans la mythologie ultra, le personnage incarne désormais une sorte d’idéal de pureté. D’abord parce qu’il n’a jamais transigé sur les valeurs cardinales du milieu que sont la dévotion, l’engagement, la ferveur. Ensuite parce qu’il savait jouer de sa voix pour animer les tribunes et rallier de nouveaux adeptes à sa cause (autant que de ses poings s’il le fallait). Enfin, et peut-être surtout, parce qu’il est parvenu à réaliser le fantasme de nombreux supporters: briser le plafond de verre des tribunes.
Son importance pour le club était reconnue jusqu’au plus haut niveau de l’organigramme, dont il a d’ailleurs fait partie à certaines périodes de sa vie en tant qu’employé.
Une voix qui porte
Le jour de sa mort, qui coïncide avec la reprise du championnat, une minute de silence est observée avant le match de l’OM contre Troyes, les 11 joueurs marseillais enlevant même leur maillot en l’honneur de celui qui avait pour habitude d’officier en tribune torse nu. Quelques jours plus tard, une délégation du club, comprenant notamment le président Robert Louis-Dreyfus et des joueurs professionnels, assiste à son enterrement. Sept ans plus tôt, lors de la finale de la Ligue des champions remportée face à l’AC Milan, il avait été invité à soulever la fameuse «coupe aux grandes oreilles» avec l’équipe. Bernard Tapie lui offrira même la médaille reçue personnellement pour l’occasion…
«Depé a été ce supporter capable de s’inviter dans les bureaux de l’OM et de parler d’égal à égal avec ses dirigeants. Il était en mesure de négocier, voire de revendiquer des choses et, plus important, de les obtenir», souligne Ludovic Lestrelin, de l’Université de Caen, qui enquête depuis des années sur la trajectoire de Patrice de Peretti.
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Le principal combat du personnage concernait l’accessibilité du stade: il tenait à ce que le prix des abonnements reste abordable dans les virages. «Aujourd’hui encore, on entend souvent des gens dire que telle ou telle décision ne serait pas passée si Depé était encore là. Il a vraiment porté cette idée selon laquelle les groupes de supporters sont des forces avec lesquelles il faut s’entendre», poursuit le chercheur.
Dans le stade, il a gravi tous les échelons, jusqu’à devenir une personnalité reconnue, respectée, admirée. Le torse nu par tous les temps, même lorsque les thermomètres berlinois affichaient -12°C un soir de Ligue des champions, selon une anecdote célèbre. La voix rauque juste ce qu’il fallait pour entraîner la foule dans le sillage de son enthousiasme. Mais il doublait sa célébrité, dans le milieu comme en ville de Marseille en général, d’une vie très modeste. Il ne possédait ni appartement ni voiture, passait ses nuits où il le pouvait, d’une piaule à l’autre, d’un squat aux travées du stade.
«Live fast & die young»
«C’est un aspect qui participe pleinement de sa légende, note Ludovic Lestrelin. Dans l’univers ultra, il est très mal vu de céder aux sirènes de la commercialisation. Depé n’a jamais pu être soupçonné d’intéressement ou, pire, d’enrichissement, car il vivait de très peu, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les leaders en tribune.»
«En matière de sport, l’identification est quelque chose d’important. Les gamins veulent être le joueur, l’entraîneur, le président. Depé leur a donné envie de devenir le supporter. Il dégageait tellement de joie, de bonheur. Il irradiait», se rappelle le photographe Alain Sauvan, dont un cliché illustre cet article. Il a rencontré le jeune homme encore ado, figure montante des tribunes, chez ses parents pour un portrait. L’a revu régulièrement pour «boire des coups et jouer au baby-foot». Et se souvient du récit de ses aventures, les journées de stop pour aller voir des matchs à des centaines de kilomètres, les voyages «dans des valises», etc. «Comme il est mort jeune, on ne l’a pas vu descendre, souffle-t-il, et cela nourrit bien sûr le mythe…»
Patrice de Peretti s’en est allé à l’âge de 28 ans. Une année trop tard pour faire officiellement partie du «club des 27» (Jimi Hendrix, Jim Morrison, Kurt Cobain), et pourtant: «Sa disparition précoce l’a fait basculer dans un destin de rock star», glisse Ludovic Lestrelin. Live fast & die young.
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Cela l’a aussi installé à une place où chacun est libre de l’idéaliser, et où il n’y a plus de comparaison qui tienne. «Des figures mythiques comme la sienne, il n’y en a pas d’autre en France et très peu en Europe, souligne Emmanuel Barranguet, journaliste de l’Agence France Presse basé à Marseille. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de personnalités fortes dans le monde des supporters: à Marseille, Rachid Zeroual gère très bien et depuis longtemps les South Winners, qui comptent 7000 membres. Mais Depé restera forcément à part.»
Notre confrère cite les graffitis en son honneur. Les t-shirts à son effigie. Et ces gamins qui le tiennent en modèle alors qu’ils sont trop jeunes pour l’avoir côtoyé. «Il y a chez les ultras un réel travail d’entretien de la mémoire des disparus, réagit Ludovic Lestrelin. De son vivant, Depé a participé à ce que les supporters de l’OM identifient aujourd’hui comme l’âge d’or des tribunes du Vélodrome, mais il n’était pas le seul «capo» reconnu. Mais grâce à la transmission orale qui a cours dans le milieu, il y a désormais une unanimité quasi totale: le supporter numéro un de l’OM, c’est lui et personne d’autre.»
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